Ça fait que trois jours qu'on a pris la route. On s'est rendu compte que l'incendie à l'ouest se dirigeait vers nous... on a dû partir alors qu'on était pas prêts. Mais c'est pas l'incendie qu'on fuyait. Je pensais que le feu aurait cramé quelques bouts de bois – je me les imaginais déjà courant dans tous les sens avant d'être réduits en cendres. Mais quand j'ai vu ces Démons ardents sortir de la forêt, j'ai compris qu'on avait plus le temps.

Maman est restée clouée sur place quand elle les a aperçus. Elle a même pas réussi à crier pour nous prévenir. Quand Papa et moi, on a pigé ce qui se passait, on a à peine eu le temps d'attraper nos paquetages et de la pousser hors de la maison. On a pas regardé vers où on courait... on voulait juste être le plus loin possible. Papa a balancé une lampe à huile dans la baraque, pour les distraire pendant qu'on filait dans l'autre direction. Ça a marché pour tous sauf un. Il nous a vus et nous a pris en chasse. J'en reviens pas de la vitesse à laquelle ils vont. On avait l'impression qu'il gagnait du terrain à chacun de nos pas. La cheville de maman la ralentissait et papa faisait tout ce qu'il pouvait pour la faire aller plus vite.

On aurait pas pu la sauver.

C'est en tout cas ce qu'il m'a dit. Elle avait la cheville cassée, qu'il m'a dit. Je voudrais bien le croire… non, en fait, il le faut. On grimpait sur une colline quand Maman est tombée. Papa m'a dit de continuer à courir et il s'est arrêté pour l'aider. J'étais déjà en haut quand je l'ai entendue crier. J'ai pas reconnu sa voix, mais je savais que c'était elle. Et quand Papa a fini par me rejoindre au sommet, il m'a crié de continuer à courir, alors j'ai fait ce qu'il m'a dit. Mes yeux se sont remplis de larmes dès que j'ai vu qu'il était seul.

C'était il y a trois jours. Papa et moi, on a fui aussi loin et aussi vite que possible. Le Démon ardent a abandonné la poursuite... on sait pas pourquoi. Peut-être qu'il s'est lassé, peut-être qu'il avait obtenu ce qu'il voulait. J'espère que Maman a eu une mort rapide. Mais je sais qu'elle a souffert. J'oublierai jamais ses cris ; et les cendres qui m'empêchaient de respirer. Maintenant, à chaque fois qu'on fait un feu de camp, je me réveille la nuit en criant et en tremblant. L'odeur de brûlé va sûrement me faire ça pendant un bon moment...

Maman me manque. J'me demande comment je peux encore avoir des larmes pour pleurer alors que j'ai si soif. On a presque plus rien à boire, même avec sa ration à elle. Papa essaie de garder la face, mais je l'ai entendu pleurer hier soir. C'était la première fois que je l'entendais, et j'espère que ça sera la dernière. J'ai fait semblant de dormir, pour qu'il puisse soulager sa peine.

On va continuer à se diriger vers le lac. En espérant que les choses tournent à nouveau en notre faveur. En espérant qu'il y ait de l'eau...